CHRISTINE ou la
révélation d'une bourgeoise
CHAPITRE 1
J'étais au chômage
depuis plus d'un an lorsqu'enfin un employeur répondit à
une de mes nombreuses lettres.
Je me présentais à l'adresse de l'entreprise comme convenu.
Une hôtesse me fît patienter après avoir prévenu
M. Gaurlive de mon arrivée. Après un quart d'heure d'attente,
on me fît entrer dans le bureau de ce monsieur, la quarantaine,
style rond de cuir parvenu, avec de petites lunettes assises sur un nez
plutôt long, un regard inexistant. Il était l'image même
de l'homme qui passe inaperçu. Il se présenta comme le chef
du personnel. Il me demanda de lui décliner mon curriculum vitae.
Mme Christine Dubreuil, 29 ans, deux enfants de six et trois ans, mariée
depuis huit ans à un monsieur installé à son compte
comme conseil en communication, sans grand succès depuis trois
ans. Moi-même au chômage depuis treize mois, ancienne comptable
chez M. Poindant, expert comptable pendant trois ans, puis, après
l'obtention de quelques diplômes professionnels, chef comptable
à la "Régionale du plastique" liquidée
il y a un an pour raison économique m'amenant à rechercher
un emploi. J'avais donc un besoin impératif de trouver un poste.
Après un entretien d'une demi-heure M. Gaurlive m'annonça
qu'il retenait ma candidature parmi d'autres et que je serai convoquée
prochainement pour une entrevue avec le chef de service comptable.
Ma joie était
immense. Enfin le bout du tunnel apparaissait. Les revenus de mon époux
étant parfaitement aléatoires, il m'incombait de faire bouillir
la marmite. Jusqu'à ce jour mes allocations chômage permettaient
de faire face mais depuis un mois je me retrouvais au minimum et mes maigres
économies fondaient comme neige aux soleil. L'espoir de cette place,
après toutes les réponses négatives me redonnait
confiance en moi. J'ignorais quel destin m'attendait.
Une semaine plus tard je me retrouvais devant la même hôtesse
quelque peu plus souriante comme si je faisais maintenant partie de ses
collègues. M. Rimbon le chef comptable me reçut rapidement
et nous eûmes une conversation très professionnelle pour
tester mes connaissances. Toutefois, durant ce temps, je remarquais qu'il
me détaillait avec insistance comme s'il cherchait à me
voir au-delà des apparences. Ces yeux allaient de mes jambes à
ma poitrine via mes yeux comme s'il cherchait à me pénétrer.
Je mis cette inquisition visuelle sur le compte de l'objet même
du recrutement. Il cherchait probablement à me mettre mal à
l'aise pour me faire perdre mon calme et percevoir ainsi mes faiblesses
ou ma fragilité psychique. Dans mon petit tailleur strict, je m'accrochais
afin de montrer mon self-control ainsi que mes compétences. Par
ailleurs M. Rimbon m'apprit que nous n'étions plus que sept postulants
à cette place ; quatre femmes et trois hommes. Lui-même devait
en sélectionner trois qui seraient soumis à un ultime entretien
avec le patron M. Nordan. A la fin de notre entrevue il me confirma que
je ferai, a priori, partie du tiercé gagnant. Toutefois il me laissa
entendre que la troisième étape du recrutement serait sans
conteste la plus difficile. Je serais, à ce moment là, non
plus jugée sur mes capacités professionnelles, mais plus
sur ma personnalité intérieure et extérieure assujettie
à certains dons très particuliers. J'en fus un peu surprise.
Malgré mon insistance, il ne voulut pas m'en dire d'avantage.
Un étrange mélange en moi me faisait osciller entre la plus
parfaite béatitude et la crainte sournoise. Que voulait-il me faire
comprendre ?
A la maison la situation
n'était pas magnifique. Pierre, mon mari, ne supportait pas très
bien son manque de réussite professionnelle. Il se battait bien,
mais la concurrence était très dure et son petit cabinet
n'avait pas la notoriété nécessaire pour faire tomber
les gros contrats. Cela jouait sur son moral.
Comme il était un petit peu jaloux, il digérait mal d'avoir
besoin de moi pour faire tourner financièrement le ménage.
Il craignait, par ailleurs, que je sois en contact fréquent avec
d'autres hommes. Il n'était pas violent, mais je savais qu'il souffrirait
beaucoup si jamais je le quittais. Heureusement que l'idée ne m'effleurait
pas du tout, d'autant que j'étais très heureuse avec lui
et mes deux enfants.
Une semaine était
déjà passée depuis mon rendez-vous avec M. Rimbon.
Je commençais à m'impatienter, d'autant que la banque venait
de nous écrire pour nous demander de bien vouloir couvrir dans
les plus bref délais un léger découvert. Il fallait
donc j'ailles rapidement clôturer mon livret d'épargne. Nous
arrivions au bout de nos économies. Il devenait urgent de trouver
du travail. Enfin, du jour au lendemain, j'allais recevoir une convocation
de M. Nordan.
Rentrée à la maison, le facteur étant passé,
je me précipitais sur l'enveloppe à l'en-tête NORMAN
& Cie. Enfin on me convoquait pour la semaine prochaine.
(à
suivre)
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